L’eau au cinéma est partout, elle est multitude et diversité, l’image même protéiforme du vaste inconnu et de l’horizon des possibles. Elle est aussi saisie à l’écran comme l’enjeu politique le plus important de notre ère. Lorsque l’eau est figurée à l’écran, elle n’est pas immobile, loin d’être une mer d’huile. Tour à tour houleuse, tempétueuse, calme, sereine, il n’est pas un instant où l’eau ne traverse pas un long métrage sans en modifier la colonne vertébrale, sans en transformer le sens.
Les films qui explorent le thème de l'eau sont nombreux, qu’il s'agisse de vastes océans, de rivières tumultueuses ou même de simples gouttes de pluie. Cette fascination pour l'eau remonte à l'aube du cinéma et a inspiré de nombreux réalisateur⸱ices à créer des chefs-d'œuvre cinématographiques. Nous vous proposons une plongée dans les profondeurs du cinéma aquatique.
L’eau, peur ancestrale
Si l’eau peut figurer le grand inconnu, elle est aussi l’incarnation d’un grand mal. Trop peu d’eau assèche, quand un trop plein d’eau peut être mortel pour l’humanité. Le déversement des eaux océaniques des films catastrophes le prouve assez bien, de 2012, le film sorti en 2009, réalisé par Roland Emmerich avec John Cusack et Chiwetel Ejiofor, ou du même cinéaste : Le Jour d’Après, avec Jake Gyllenhaal, sorti en 2004. Les Américains, très friands du genre, ne sont pas les seuls à s’être laissés envahir par le sentiment de peur ancestrale. Derrière l’eau, il y a la vague, le tsunami. Destructrice, la mer a dévasté les terres du Pacifique au Japon en 2011. Le choc fut terrible. Des documentaires ont fleuri ici et là, tels que Brise-lames de Jérémy Perrin et Hélène Robert, qui filment le paysage et sa transfiguration post-apocalyptique.
Tandis qu’en Norvège, pays si proche de la mer qu’il comptabilise 102 937 km de littoral continental, ainsi que 1 190 fjords et près de 50 000 îles, le réalisateur Roar Uthaug a filmé The Wave, un drame catastrophique sur le Bølgen (vague en norvégien), basé sur des faits réels d'il y a 80 ans, quand des villages norvégiens ont été frappés par un tsunami, créé par un flanc de montagne qui s’était effondré dans les fjords. Le film The Impossible de J. A. Bayona évoque le tsunami de 2004 vécu par la Thaïlande, dans un style horrifique caractéristique du cinéma catastrophe espagnol.
Parmi les films catastrophes, certains ne prennent l’eau que comme sujet secondaire, prétexte à quelques scènes explosives de blockbusters. James Cameron, fasciné par les grandes eaux depuis Abyss, fut le généreux mécène d’inventions impressionnantes pour filmer un cinéma qu’on dira volontiers “immersif”. Il donna naissance au mastodonte Titanic (1997), dans lequel l’eau ne fait peur qu’à travers sa version solidifiée : l’iceberg. Englouti dans l’océan atlantique, perdu à jamais, le paquebot RMS Titanic est devenu un symbole de ce que l’eau peut avoir d’effrayant et de sidérant.
Autre cas désespérant, et certain-es le détestent pour cela, Steven Spielberg a donné naissance à un “cas d’école” : Les Dents de la Mer (1975). S’il ne traite aucunement de l’eau, mais plutôt de la peur de ce qu’il y a dans l’eau, le long métrage a été le précurseur d’un genre, le thriller emblématique d’un cinéma qui ne se pose pas beaucoup de questions sur l’impact ambivalent d’une image très dégradée de nos océans (Piranha 3D (2010) d’Alexandre Aja en est un descendant direct). Empreint de terreur, le film a saisi le public, qui pendant des générations ne s’en est toujours pas remis. Spielberg regrette aujourd’hui d’avoir bousillé l’image du requin, et a financé à grands frais, des associations de réhabilitation.
Pourtant, ce film a donné naissance au thriller “scienfitique” d’exploration avec des dizaines de nanars insolites comme En Eaux Troubles de Jon Turteltaub, en 2018, dans lequel des scientifiques découvrent une espèce marine inconnue et monstrueuse : le Mégalodon, fantasme du requin tueur, à son paroxysme.
Entre film post-apocalyptique et réveil de la conscience écologique, l’inondation, voire la submersion complète de la planète par les eaux est un sujet de film dystopique. Kevin Reynolds se penche sur la question dans Waterworld (1995), l’un des tournages les plus cauchemardesques qu’ait connu Kevin Costner, acteur principal et Jeanne Tripplehorn, jamais citée comme tête d’affiche dans les bandes annonces. Vive les années 90… Dans un futur post-apocalyptique où la Terre est presque entièrement recouverte d'eau, ce film d'action met en scène un marin solitaire, interprété par Kevin Costner, qui navigue à travers un monde ravagé. Waterworld explore la lutte de l'humanité pour survivre dans un environnement hostile, où l'eau est à la fois un allié et un ennemi. Une sorte de Mad Max sans le désert. Ce qui nous amène vers un cinéma plus “respectueux” de l’eau… dans les années 2000.
Il faut sauver l’eau
L’eau n’est pas juste une peur ancestrale, elle est aussi la frontière entre le connu et l’inconnu, le visible et l’invisible. Nous connaissons à peine plus de 13% de ce que sont la faune et la flore marines. Parfois, l’océan est envisagé sous sa forme primaire, foyer d’êtres vivants primitifs. D’autres fois, à traits grossiers, l’on accuse l’humain d’avoir détruit les tréfonds aquatiques, comme dans Aquaman (2018), James Wan avec Jason Momoa, Amber Heard, dans une vision sans relief des profondeurs. Puis l’on s’inquiète de ce qu’on laissera aux générations futures.
La destruction de la barrière de corail a été largement médiatisée dans les années 80-90. Inscrite au patrimoine mondial de l’humanité en 1981, elle a fait l’objet de nombreux reportages et documentaires. En 2008, Océans de Jacques Perrin et Jacques Cluzaud fait la part belle à la méditation et aux images percutantes de la biodiversité marine. Quelques années plus tard, la perception de la fragilité environnementale a bouleversé le cinéma. Les années 2000 charrient avec elles des films originaux, reposant sur un discours pédagogique et engageant. Ainsi, Le Monde de Nemo (2003) est un véritable classique de l'animation produit par Pixar, qui suit les aventures palpitantes d'un petit poisson-clown nommé Nemo, capturé par un plongeur et emmené dans un aquarium. Pendant ce temps, son père, Marlin, se lance dans un voyage épique à travers l'océan pour le retrouver. Le film met en lumière la beauté et la diversité de la vie marine, tout en explorant des thèmes d'amour familial et d'acceptation. Cinq ans après, le cinéma japonais s’empare de la question avec Ponyo sur la falaise (2008) dans la veine environnementaliste de Princesse Mononoké, réalisé par Hayao Miyazaki, et racontant l'histoire d'une petite fille poisson nommée Ponyo, qui rêve de devenir humaine.
L’eau est aussi un bon moyen de parodier. Pour faire le pastiche des Dents de la mer, ou de Moby Dick, montrer l’absurdité de l’être humain, Wes Anderson filme La Vie Aquatique ou Life Aquatic with Steve Zissou (2004), sur les aventures excentriques du célèbre océanographe Steve Zissou, alors qu'il cherche à se venger d'un requin qui a tué son partenaire.
Dans certains cas, le lien entre l’eau et les hommes sert un discours humaniste, anthropocentré. L’eau est ce qui lie et délie les êtres humains. Elle est ce qui isole aussi, au travers de l’insularité ou de l’image de naufragé-es dans Blue Lagoon (1980), film romantique, réalisé par Randal Kleiser. Parmi les quelques films, même si leur scénario peut paraître aujourd’hui fortement “daté”, figurent des films naturalistes, ou bien familiaux ou encore “générationnels”. L’eau y figure la quête des origines, l’inlassable retrouvaille entre les êtres, ou la frontière entre les vies. L’eau y est une véritable métaphore de l’écoulement du temps, de la fragilité de l’existence.
L’eau et le cinéma
par Tassanee Alleau
Citons, entre autres, Et au milieu coule une rivière, un film de 1992 réalisé par Robert Redford, basé sur le roman du même nom de Norman Maclean. Ce film, véritable hymne à la nature et à la pêche à la mouche, raconte l'histoire de deux frères, Norman et Paul Maclean, qui grandissent dans le Montana au début du XXe siècle. L'eau, en l'occurrence la rivière Big Blackfoot, joue un rôle central dans le film, symbolisant la vie, la tranquillité et la force de la nature. C’est une symbolique féminine (pureté, sérénité), forgée par la nature masculine (force sauvage, brute) des deux personnages qui s’opposent et se réconcilient. De même, Le Grand Bleu (1988) de Luc Besson, n’est rien d’autre que la renaissance d’un mythe aquatique de la virilité (du lien Homme-Eau ou force-nature) à travers la plongée sous-marine... Un discours peu moderne.
Dans l’eau, l’on peut apercevoir l’Autre. L’altérité est un sujet qui jalonne le cinéma, et l’élément aquatique personnifie parfaitement ce phénomène. Dans The Shape of Water (2017), de Guillermo del Toro, l’eau est un élément étranger. Un corps y vit. Ce conte fantastique oscille entre réalisme et surnaturel. L'histoire se déroule dans les années 1960. Une femme de ménage muette travaille dans un laboratoire gouvernemental hautement sécurisé. Elle se lie d'amitié avec une créature amphibie mystérieuse détenue dans le laboratoire. L'eau y est un élément de connexion important.
Dans l’eau, certains voient l’image de Dieu… Ron Howard ressuscite Moby Dick avec Au cœur de l'océan (2015), poétique maladroite des “confins de la raison”, survivance du chaos et de l’ère colonialiste de l’autre temps, considérations désuètes de la peur de la nature et de ses ténèbres (à la manière du roman Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad). Le film est basé sur l'histoire vraie du naufrage du baleinier Essex en 1820, qui a inspiré le roman Moby Dick. Il suit l'équipage du navire alors qu'il lutte pour survivre après avoir été attaqué par une baleine géante. Il valide l’image de la peur ancestrale de l’eau, tout en confirmant le schéma divin, dont on oublie qu’il irrigue encore de nombreux cinéastes aujourd’hui…
Par exemple, Life of Pi (2012), réalisé par Ang Lee, parle d'un jeune homme nommé Pi, naufragé sur un radeau en compagnie d'un tigre de Bengale. L'eau est omniprésente dans ce récit, symbolisant à la fois la beauté et la dangerosité de l'océan, ainsi que la lutte pour la survie.
Le sujet de l’eau comme élément central de la géopolitique de notre époque n’est malheureusement traité au cinéma que par des films pro-militaires, fades, sans âme, ou simples grands divertissements. À commencer par la piraterie et les corsaires, finement dépeints dans Pirates des Caraïbes depuis 2003 (le finement est ironique), ou dans Capitaine Phillips (2013) de Paul Greengrass. Sans parler des machines à tuer des eaux profondes dans : Le Chant du Loup d’Antonin Baudry en 2019, qui est un thriller en huis clos dans l’eau, U-571 (2000) de Jonathan Mostow, héritier du genre d’USS Alabama de 1995 par Tony Scott, dans lequel les soldats justifient de tuer d’autres soldats par « Dieu nous pardonnera ».
La pluie ne fait pas le beau temps
Dans Chantons sous la pluie de Stanley Donen et Gene Kelly (1953), la pluie est transformatrice et libératrice, elle représente ce à quoi les comédiens ont peur d’être confrontés : l’avenir du cinéma. Symbole de nostalgie et de tristesse mélancolique, elle arrive souvent en pluie orageuse sur les moments les plus sombres des acteur •ices.
Parfois, donc, la pluie, c'est la tristesse, le seum, accentuant le drama du moment... Et pourtant, elle est aussi la raison du renouveau.
En espérant que cette eau continue d'être notre source à tous et à toutes.