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L’édito : L’eau, les émotions et le sciage de gouttière par Deliyah

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J'ai participé il y a quelque temps à une présentation sur la gestion des eaux pluviales à la parcelle (*) par un ingénieur du domaine. La vie associative est pleine de belles rencontres n’est-ce pas ?

 

J’ai été captivée par ce sujet que je connais assez peu. J’en ai gardé la fascination pour la force de l’eau. Il suffit de penser à la marée, aux courants et aux vagues, à la glace qui fait rompre les rochers ou encore aux cascades et aux rivières qui façonnent le paysage pour percevoir la débauche de gigawatts que ces phénomènes représentent.

 

Leur puissance est démesurément supérieure à toute l’énergie intellectuelle, technique mais aussi fossile que nous pouvons mettre en œuvre. Elle reste “naturellement” “plus forte que nous”. Ça a le mérite de nous rappeler que nous ne sommes pas omnipotent.es et que parfois, l’eau peut devenir une menace dont il est bien difficile de se protéger.

 

En effet, en France, le système majoritaire de gestion des eaux pluviales s’effectue par la conduite drastique de toute eau de pluie tombée sur une surface, plus ou moins imperméable, vers des canalisations. Celles-ci se rejoignent alors dans des conduites de diamètre de plus en plus important à mesure qu’elles se rapprochent du point de rejet dans le milieu naturel. Or, avec le dérèglement du climat, les pluies se font plus intenses et sur des temps plus courts. Soit un débit qui augmente fortement. Et des réseaux potentiellement engorgés, qui finissent par déborder. En situation critique d'inondation, il arrive que les eaux de pluies et les eaux usées se mélangent, ce qui ajoute alors un risque sanitaire important.

J’ai en tête ces images d’eaux déchaînées, qui emportent tout sur leur passage, c’est terrible pour les populations et les écosystèmes locaux. Immanquablement mon cerveau fait également le parallèle avec la colère des peuples opprimés, qui finissent par se soulever, descendre dans les rues telles des marées humaines, bruyantes, impressionnantes, parfois non sans dommages, matériels régulièrement, humains heureusement moins souvent.

 

Mais à l’opposé de cette fureur de l’eau, c’est de douceur dont je voudrais maintenant vous parler. Celle dont nous devrions sans doute faire davantage preuve dans notre gestion de l’eau de pluie. Plutôt que de contraindre ses ondulations à la rectitude de nos constructions, on peut… simplement couper notre gouttière. La scier, rien de moins, et quasiment rien de plus ! L'intervenant spécialiste du domaine nous faisait remarquer qu'il suffit de casser l'élan de l'eau pour que celle-ci ne ravine pas. C’est finalement souvent cela qui cause des dégâts et que l’on veut éviter. Ainsi, au point d'arrivée sous la gouttière, une grande pierre plate peut suffire à répartir l'eau en de fins filets qui s'infiltrent sans dégât dans le jardin. Tout comme le reste de l'eau de pluie qui tombe directement sur le jardin.

 

Scier sa gouttière, ça peut paraître surprenant, voire inquiétant pourtant la gestion de l’eau à la parcelle, et plus largement la perméabilisation des sols, ont fait leurs preuves dans la gestion des inondations comme le rappellent l’OFB - Office Français de la Biodiversité, le CEREMA - Centre d'études et d'expertise sur les risques, la mobilité et l'aménagement - ou encore France Nature Environnement.

Je me permets une nouvelle digression car il me semble que cette manière de voir les choses peut nous inspirer dans notre gestion des émotions. Si on libère l’émotion dès son apparition, on la laisse s’épandre et aller où elle le souhaite, elle se dissipera tranquillement après avoir été exprimée, sans laisser de traces ou presque. Au contraire, si on la contraint à la discrétion, à rester à sa place, il y a de fortes chances qu’elle rejaillisse plus tard, grossie par cette frustration et qu’elle puisse alors causer des dégâts relationnels ou autre.

Voilà, je vois les inondations comme un trop plein de frustration de toute cette eau enfermée, qu’on a voulu trop diriger et qui tout d’un coup reprend le contrôle, retrouve sa liberté. Loin de moi l’idée de donner une intention ou une personnalité à l’eau, simplement je vois des parallèles intéressants entre la gestion de l’eau et celle de nos émotions.

 

A partir de là, si on arrête de mettre l’eau sous tutelle de nos canalisations, (je vous laisse continuer à filer la métaphore, ou pas) nos aménagements doivent s’organiser en fonction d’elle. Le renversement de pensée est vertigineux et passionnant !

Supprimer les conduites d’eau de pluie signifie faire en sorte qu’elle puisse s’infiltrer dans le sol au plus proche de son point de chute. Pour cela le maître mot c’est la désimperméabilisation : redonner aux sols leur capacité d’absorption, en réduisant drastiquement les surfaces étanches bétonnées, bitumées, et en plantant des haies dans les paysages agricoles pour casser le ruissellement et permettre à l’eau de s’infiltrer.

 

Y voyez-vous comme moi une ode à la liberté, voire à l’oisiveté ? En tout cas à un certain laisser-faire, qui n’est pas sans rappeler, dans un autre registre, le jardin punk d’Eric Lenoir.

 

- Deliyah

(*) La gestion des eaux à la parcelle consiste à gérer les eaux pluviales directement là où elles tombent, en favorisant l'infiltration et la rétention sur place.

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